Le thé de ma mère
« Elle était tentée parfois par une troisième tasse qu’elle se refusait la plupart du temps, de crainte de ne pas dormir la nuit suivante. Je la trouvais en revenant de l’école, installée dans la chambre verte, la chambre d’amis qui faisait office de buanderie quand nous n’avions pas d’invités. C’est à dire presque toujours. Par Garance.
Debout devant la table à repasser, elle faisait glisser son fer à petits mouvements de poignet précis. Sur le meuble de la vieille machine à coudre, décoré d’un napperon au crochet, elle avait déposé son goûter : une théière en faïence marron, une assiette contenant quatre galettes Saint Sauveur et la tasse Mobile, remplie du breuvage ambré et fumant sur lequel flottait une rondelle de citron. C’est comme cela que devait être son thé : léger, chaud et surtout avec une rondelle de citron.
La pièce était froide mais le thé et le repassage la réchauffaient. C’était l’heure de Jacques Chancel dont la voix grave, qui sortait du transistor, semblait posée pour les confidences qu’il sollicitait. Je m’installais sur le couvre-lit cul-de-bouteille, faisant mon nid entre les piles de linge bien repassé, cherchant un instant de répit, cédant à la mélancolie le temps d’un goûter ».