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L'espion qui venait de Limoges (English version below)

Si la France a réussi à accéder aux secrets de fabrication de la porcelaine chinoise, elle le doit en grande partie au prêtre jésuite François-Xavier d’Entrecolles, envoyé comme missionnaire à Jingdezhen au XVIIIe siècle afin d’en percer les mystères. Un épisode qui constitue d’un des tous premiers cas d’espionnage industriel référencés, selon l’historien Robert Finlay… by Garance. English version below.

La fièvre de l’or blanc saisit l’Europe

En 1698, quand le père d’Entrecolles est envoyé en Chine avec 9 autres missionnaires, l’Europe est saisie d’une fièvre toute particulière : la fièvre de la porcelaine. Le journaliste Daniel Defoe rapporte que la reine Marie II (1662-1694) avait lancé la mode en Angleterre d’agrémenter les maisons de porcelaines. « Tous ceux qui pouvaient se le permettre empilaient la porcelaine jusqu’en haut des armoires, des écritoires et des cheminées… jusqu’à ce que les sommes engagées ne deviennent un problème pour leurs familles et leurs propriétés » (in l’Alchimiste de Meissen). Le cas le plus impressionnant est sans nul doute August le Fort (1670-1733) qui s’était fait construire un palais à l’orientale pour abriter sa collection de plus de 20 000 pièces de porcelaine.

Toute cette porcelaine venait principalement de la ville de King-te-tching (Jingdezhen), dans la province de Jiangxi, en Chine. Elle était alors considérée comme le summum du luxe, au même titre que l’or et les pierres précieuses. Sa commercialisation était d’ailleurs le fait des orfèvres.

Très logiquement, les cours d’Europe s’avisèrent qu’il serait sans doute plus avantageux de produire elles-mêmes ces articles plutôt que de les importer. Évidemment, l’idée n’était pas de faire des économies mais de capter un marché juteux.

Opération Jingdezhen

Mais le mystère de la fabrication de la porcelaine chinoise, si blanche, si fine, si pure, restait entier. Personne en Europe n’avait réussi à atteindre ce degré de perfection.

Né à Limoges en 1664, François-Xavier d’Entrecolles avait rejoint la prêtrise en 1682 chez les jésuites. Il est décrit, selon Robert Finlay, comme un traducteur compétent, « passionné par le curieux et l’inhabituel et doté d’un don pour rassembler, trier et passer au crible l’information ». D’après Robert Finlay, dans The Pilgrim Art : cultures of porcelaine in world history, François-Xavier d’Entrecolles aurait délibérément été envoyé à Jingdezhen par ses supérieurs, avec une mission d’espionnage industriel, et sans doute aussi l’espoir de sauver quelques âmes en chemin.

Il faut dire qu’à cette époque, les jésuites considéraient leurs missions comme des échanges. Dans leurs bagages, ils apportaient l’enseignement du christianisme et la science occidentale. En retour, ils rapportaient avec des connaissances locales précieuses, comme le recours à l’écorce de quinquina pour soigner le paludisme, par exemple.

Les informations qu’ils recueillaient circulèrent à travers notamment les Lettres édifiantes et curieuses qu’ils adressaient en France. Ces lettres étaient alors copiées et distribuées parmi les amis et autres bienfaiteurs de la congrégation. Elles connurent un grand succès et participèrent activement au développement des connaissances.

Les « Lettres édifiantes et curieuses » du père d’Entrecolles

En Chine, d’Entrecolles dut faire face à de nombreuses difficultés. Les secrets de la porcelaine chinoise étaient en effet soigneusement protégés, au sein des familles des potiers et transmis à la génération suivante seulement lorsque le potier prenait sa retraite.

Comme le missionnaire était sympathique et inspirait confiance, on le laissa circuler dans les ateliers et parler avec les ouvriers. Mais, malgré sa maîtrise du chinois, il dut appréhender un jargon de métier bien spécifique.

Plus d'une décennie s’écoula avant qu'il ne puisse envoyer une description de ses découvertes en France. Cette première lettre, envoyée en septembre 1712 au père François Orry, trésorier des missions jésuites en Chine, révèle clairement les intentions de l'auteur : « Mon Révérend Père, les visites que j'ai faites de temps en temps à Jingdezhen ... m'ont donné à mon tour l'occasion de m'instruire sur la manière dont on fait cette belle porcelaine qui est si admirée et qui est exportée vers toutes les parties du monde ... Je crois qu'une description détaillée de tout ce qui concerne ce genre de travail devrait être utile en Europe ».

Cette lettre renseignait son interlocuteur avec une grande précision : de quoi la porcelaine est faite, comment ces matériaux sont mélangés, séparés et purifiés, et comment l'argile résultante est roulée, pétrie, moulée et cuite. Il passe en revue les cas particuliers (pièces extra-larges, préparation de glacis, craquements).

Il y décrivait un processus de faux-vieillissement, destiné à rendre la nouvelle porcelaine à l'aspect antique, en la recouvrant de soupe de viande et en la laissant ensuite dans un égout pendant un mois… Il y détaillait également les chaînes complexes d'assemblage permettant une production rapide. «On dit qu'un morceau de porcelaine cuite passe entre les mains de soixante-dix ouvriers», écrit d'Entrecolles. « Je n'ai aucun problème à croire cela».

Ce n'était pas assez pour les supérieurs d'Entrecolles en France. "Ils l’ont informé que ses informations n'avaient pas été suffisantes", écrit Finlay.

La seconde lettre, envoyée dix ans après la première, contenait encore plus d’instructions pour restaurer les finitions dorées, mélanger une glaçure noire réfléchissante et de fortifier les bords pour qu'ils ne s'écaillent pas. Il fit également passer des échantillons.

Une source d’inspiration

Malgré ces informations, la France ne fut pas la première à fabriquer la porcelaine dure à la manière des Chinois, car au-delà du procédé de fabrication, il fallait trouver l’élément déterminant : le kaolin.

Ce n’est qu’en 1767, soit plus de 50 ans après la première lettre édifiante et curieuse du bon père d’Entrecolles - et bien après les Allemands (1709) -, que fut découvert près de Limoges un gisement de cet argile. Une découverte qui permit à la Manufacture royale de Sèvres de produire enfin de la porcelaine dure.

Mais les informations du missionnaire-espion ne furent pas inutiles. Elles permirent notamment à Réaumur de travailler sur les échantillons transmis.

En s’appuyant sur les écrits du religieux, William Cookworthy (1705-1780) détermina que l’argile de Cornouailles et la pierre de Cornouailles pouvaient se substituer aux matériaux utilisés en Chine. En 1768, il fonda une manufacture à Plymouth pour la production d'une porcelaine identique à la porcelaine chinoise.

Quant au potier et entrepreneur britannique Josiah Wedgwood (1730-1795) fasciné par les lettres de d'Entrecolles, particulièrement le passage sur les chaînes de montage de Jingdezhen. Des années plus tard, il innova en recréant cette configuration dans son usine de poterie : il affecta des travailleurs différents à la modélisation, au moulage, à la peinture et à la cuisson de l’argile.

"Les triomphes de la révolution industrielle devaient donc quelque chose aux potiers de Jingdezhen", écrit Finlay.

Qui est l’espion ?

Prises ensemble, ces lettres du missionnaire, écrit Finlay, « représentent l'un des cas les plus anciens et les plus calculés d'effort pour mettre en œuvre des stratégies économiques mercantilistes de transfert de technologie ».

Impossible alors de ne pas savourer l’ironie lorsque François Hollande et Jean-Marc Ayrault, accueillant en mars 2014 le président chinois Xi Jinping au château de Versailles à l’occasion du 50e anniversaire des relations diplomatiques avec Pékin, lui offrent un vase bleu en porcelaine de Sèvres…

English version

The spy who came from Limoges

If France has managed to access the secrets of Chinese porcelain manufacture, it is thanks to the Jesuit priest François-Xavier d'Entrecolles, sent as a missionary to Jingdezhen in the eighteenth century to uncover the mysteries. An episode that is one of the first cases of industrial espionage referenced, according to the historian Robert Finlay ... by Garance.

Europe catched by the white gold fever

In 1698, when father d’Entrecolles was sent to China with 9 other missionaries, Europe was seized with a particular fever: the fever of porcelain. The journalist Daniel Defoe reports that Queen Mary II (1662-1694) launched fashion in England to decorate porcelain houses. "Anyone who could afford it stacked the porcelain to the top of the cabinets, writing desks and fireplaces ... until the sums involved become a problem for their families and their properties" (in the Alchemist of Meissen ). The most impressive case is undoubtedly August the Strong (1670-1733) who had built an oriental palace to house his collection of more than 20 000 pieces of porcelain.

All this porcelain came mainly from the city of King-te-tching (Jingdezhen), in Jiangxi Province, China. It was considered the pinnacle of luxury, along with gold and precious stones. Its marketing was also made by goldsmiths.

Very logically, the courts of Europe realized that it would probably be more advantageous to produce these articles themselves rather than to import them. Obviously, the idea was not to save money but to capture a lucrative market.

Operation Jingdezhen

But the mystery of the manufacture of Chinese porcelain, so white, so fine, so pure, remained intact. Nobody in Europe had achieved this degree of perfection.

Born in Limoges in 1664, François-Xavier d'Entrecolles joined the priesthood in 1682 with the Jesuits. According to Robert Finlay, he is described as a competent translator, "fascinated by the curious and the unusual and endowed with a gift to collect, sort and sift through information". According to Robert Finlay, in The Pilgrim Art: cultures of porcelain in world history, François-Xavier d'Entrecolles was deliberately sent to Jingdezhen by his superiors, with a mission of industrial espionage, and no doubt also the hope of save a few souls on the way.

It must be said that at that time, the Jesuits considered their missions as exchanges. In their luggage, they brought the teaching of Christianity and Western science. In return, they reported with valuable local knowledge, such as the use of cinchona bark to treat malaria, for example.

The information they collected circulated through the edifying and curious Letters they addressed in France. These letters were then copied and distributed among the friends and other benefactors of the congregation. They were very successful and actively participated in the development of knowledge.

Father d’Entrecolles’s "edifying and curious letters"

In China, d'Entrecolles had to face many difficulties. The secrets of Chinese porcelain were carefully protected in the families of the potters and passed on to the next generation only when the potter retired.

As the missionary was friendly and trusted, he was allowed to circulate in the workshops and talk with the workers. But, despite his mastery of Chinese, he had to understand a jargon very specific job.

More than a decade passed before he could send a description of his discoveries in France. This first letter, sent in September 1712 to Father François Orry, treasurer of the Jesuit missions in China, clearly reveals the intentions of the author: "My Reverend Father, the visits I made from time to time to Jingdezhen ... have given me the opportunity to learn about how we make this beautiful porcelain that is so admired and exported to all parts of the world ... I think a detailed description of everything This type of work should be useful in Europe ".

This letter informed his interlocutor with great precision: what porcelain is made of, how these materials are mixed, separated and purified, and how the resulting clay is rolled, kneaded, molded and cooked. He reviews the special cases (extra large pieces, preparation of glazes, cracks).

He described a process of fake-aging, intended to make the new porcelain look antique, covering it with meat soup and then leaving it in a sewer for a month ... It also detailed complex chains of assembly allowing rapid production. "It is said that a piece of cooked porcelain passes into the hands of seventy workers," writes d'Entrecolles. "I have no problem believing that."

It was not enough for the superiors of d’Entrecolles in France. "They informed him that his information had not been sufficient," Finlay writes.

The second letter, sent ten years after the first, contained even more instructions to restore the golden finishes, mix a reflective black glaze and fortify the edges so that they do not flake off. He also passed samples.

Who is the spy?

Taken together, these missionary letters, Finlay writes, "represent one of the oldest and most calculated cases of effort to implement mercantilist economic strategies of technology transfer."

Impossible then not to savor the irony when François Hollande and Jean-Marc Ayrault, welcoming in March 2014 Chinese President Xi Jinping to the Palace of Versailles on the occasion of the 50th anniversary of diplomatic relations with Beijing, offer him a blue vase in porcelain of Sèvres ...

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